CELLIER Ise

CELLIER Ise

Née en 1967, partage son temps entre le Nord et la Normandie. «Le fil imprègne mon existence depuis mon plus jeune âge. Fille d’un ingénieur textile, le fil a toujours été présent à la maison depuis mon enfance… J’ai toujours bricolé avec le fil, que ce soit en assemblant par couture des matériaux hétéroclites, en tissant, ou encore en dessinant, l’aiguille devenant le crayon. La répétition du geste élémentaire de passer le fil dessus dessous a constitué un des principaux passe-temps, un moyen probablement, à ce moment, de lutter contre l’ennui, si ce n’est de donner un sens à ma vie. Et pourtant, si le fil fait partie intégrante de mon existence, je suis incapable de coudre un vêtement. J’ai étudié les arts plastiques à l’université à Lille puis à Paris, donc un cursus artistique assez généraliste, mêlant pratique personnelle, théorie esthétique et histoire de l’art. La technique n’y était pas enseignée, voire niée. Chacun devait trouver sa propre voie. Mon approche du textile est autodidacte, je me suis créée ma propre cuisine. Au départ, j’ai réalisé, dans les années 1990/2000 des sculptures textiles assez brutes et rudes, avec du jute et de la filasse, dans lesquelles j’intégrais par collage et couture des gravures. Puis, un jour, j’ai eu l’opportunité de récupérer un important stock de tissus imprimés et mon travail s’est transformé, des personnages sont apparus et petit à petit s’est forgé un univers plastique personnel plus porté vers le rêve et un certain onirisme. J’aime papillonner entre toutes les techniques possibles et mixer l’ensemble. La technique n’est pas pour moi un objectif en soi, encore moins une façon d’épater le public. Je l’appréhende comme un moyen au service d’une narration, non pas dans le sens d’une histoire précise, mais plutôt dans l’idée d’éveiller une émotion particulière liée à « un air de déjà vu ». J’aime donner l’impression que mon travail vient d’une autre époque, d’un autre temps, cependant impossible à dater : une civilisation perdue puis retrouvée. Dans ce sens, les techniques que j’utilise (perlage, broderie…) évoquent aussi une période révolue où l’on prenait le temps de faire les choses… Je travaille souvent par séries ou par thématiques. C’est ici que le texte poétique ou littéraire sert de déclencheur en ouvrant un nouvel univers, une sorte de paysage onirique dans lequel je me projette. Je puise alors dans mes réserves textiles pour trouver les étoffes, les galons, les accessoires qui me permettront de donner forme à ma rêverie. En général, le découpage et l’assemblage des textiles s’effectuent très rapidement, comme si la main travaillait toute seule, sans être brimée par l’intellect. Il n’y a jamais d’hésitation dans cette phase de travail, marquée par un sentiment d’évidence, comme si tout était déjà pré dessiné. Si l’on se réfère à la métaphore de l’accouchement, on peut évoquer ici une forme d’urgence dans l’expulsion. La phase suivante est par contre beaucoup plus lente et réfléchie. Elle consiste à ennoblir, enrichir les figures et les décors. Viennent ensuite les finitions, la fermeture des « arrières » qui dissimulent la complexe « mécanique des fils »qui a permis l’assemblage de tous les fragments textiles. Ici encore, le rythme de travail se ralentit, et, d’une certaine manière la technique reprend le dessus. C’est souvent pour moi un moment paradoxal, marqué à la fois par la lassitude du travail « appliqué » (la peur de faire un faux pli par exemple) et l’impatience de passer à une nouvelle pièce déjà en gestation, comme si l’œuvre terminée était déjà en train de générer la suivante… Extraits d’une interview pour TEXTILE ART / BERLIN / 2015